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L’ascension ou la chute des corps

Pour un homme nouveau

Il est en Allemagne une charmante tradition selon laquelle les hommes le jour de l’Ascension fêtent non pas l’envolée du christ vers d’autres cieux mais leur liberté à eux, la liberté au masculin. Ce qui apparemment signifie en termes choisis boire de l’aube à la nuit, entre potes et jusqu’à plus soif, voire, pourquoi pas, jusqu’au coma.

Quelle chance quand même d’être mâle ! De pouvoir se bourrer la gueule, péter, roter, vomir, ou pisser contre un arbre ou encore, pour les plus pudiques, à l’abri d’un bosquet.

Ainsi, le jour de l’Ascension, les observateurs téméraires qui se risquent dehors au matin, dans les villes ou dans les campagnes, sur les chemins de randonnées, dans les forêts, les parcs, les rues, peuvent apprécier l’humanité dans toute sa splendeur, en ces hommes qui, en hordes, se lancent dans la belle aventure d’une journée de biture. Portant leurs caisses de bière, ils avancent fièrement vers leur mission à accomplir : boire, chanter, s’amuser, ou du moins faire semblant. Au fil du jour, leur pas se fait moins sûr, moins droit. Mais ils tiennent bon, ils sont des hommes. Et quand le ciel s’assombrit ils sont déjà tous gris. Un peu comme les chats la nuit… Ou voire carrément noirs. Dans le fossé. Défoncés.

Pitoyable ? Consternant ? Voyons, un peu d’indulgence. Ils ont le droit, les malheureux, de se défouler un peu. Ils ne sont que des hommes. Et les hommes, c’est connu, ont des besoins naturels, impératifs, incontrôlables, des besoins inhérents à leur condition masculine. Aussi, devons-nous pardonner au sexe fort ses faiblesses. Et lui autoriser quelques traditions innocentes.

Sauf que… si je peux me permettre… oser émettre des réserves… Je ne voudrais surtout pas tomber dans un travers sexiste. Cédant par pure inadvertance à un penchant féministe, foncièrement castrateur. Je ne voudrais pas rogner sur les dernières prérogatives du sexe masculin. Le traitant presque en ennemi.

Pourtant, comment m’en empêcher ?

D’une part, cette tradition n’est pas inoffensive puisqu’elle provoque chaque année des rixes dans tout le pays – peut-être la seule occasion où l’Allemagne réunifiée n’est pas divisée d’est en ouest –, qu’elle cause de nombreux dégâts et des accidents de personnes entraînant même parfois la mort. De l’autre, n’est-il pas temps de changer cette image affligeante de l’homme qui ne saurait s’exprimer, se détendre, s’amuser, qu’en se transformant en bolosse ?

Les hommes comme les femmes aujourd’hui sont victimes d’une image obsolète à laquelle ils s’efforcent désespérément de coller. Pourquoi ne pas tenter de créer de nouveaux modèles, non pas des moules contraignants mais des grilles d’improvisation, des thèmes de variations ? Pourquoi ne pas déterminer des critères de virilité plus ambitieux et flatteurs que la capacité à se bourrer la gueule, à taper du poing sur la table ou à aller aux putes ?

Il est temps pour les hommes, les vrais, ceux qu’on aurait envie d’aimer, de s’inventer de nouvelles traditions dignes d’eux. Dignes de leur humanité.

Alors, les gars, courage, foncez !

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