J’adore la préhistoire. Certains l’auront remarqué et se demandent déjà sans doute à quoi tient cet engouement. Cette manie ? Tout simplement d’abord à son action thérapeutique. Parce qu’à l’instar de nos parents, on peut faire endosser aux hommes préhistoriques toutes nos erreurs et errances. Les miennes, les vôtres, les leurs. Puisque, par effet papillon, elles ne sont que le résultat de leurs mauvaises décisions. L’élevage en batterie aurait-il existé si nos morfales d’ancêtres n’avaient pas décidé de descendre de leurs arbres pour chasser de pauvres bêtes ? Et les armes, hein, les armes ? C’est pas nous qu’on a commencé, je vous le dis, mais eux, avec leurs joujoux en pierre, aux airs tellement innocents. Bande de faux jetons ! (Fallait qu’ça sorte.)
De plus, ces coupables originels ont le bon goût d’être absents et donc de ne pas pouvoir contester mes propos ni m’attaquer en justice pour atteinte à leur honneur ou à leur vie privée. Cela laisse à ma fantaisie une latitude confortable, d’autant qu’en sus (comme ça se prononce), dans ce domaine, la science elle-même navigue dans un flou artistique. Imaginez par exemple que les spécialistes de l’époque datent « la maîtrise du feu » entre 800 000 et 400 000 avant l’ère chrétienne… Une sacrée marge où débrider mon imagination !
Mais venons-en à mon sujet.
À Lascaux, il y a longtemps, autour de 19 000, 17 000 avant Jésus Christ (Ndla : là, je souris), un chenapan, nommé John Do1, montrait des signes de rébellion qui inquiétaient beaucoup sa mère – le père avait déserté à la naissance de l ‘enfant. La pauvre ne comptait pas pourtant les heures supplémentaires, ne s’épargnait aucune contrainte, pour gâter son petit. Elle lui offrait les meilleurs arcs, pour qu’il se distingue à la chasse, et l’habillait toujours de peaux de bêtes dernier cri. Mais John, non qu’il fût ingrat, persistait dans sa résistance à toute autorité. Et détestait le sorcier.
Pour ne pas être condamnée par la communauté, et pour se défouler aussi, sa mère punissait John à tort et à travers. L’envoyant se coucher le plus souvent sans dessert. Alors que le clan festoyait autour d’un feu de joie, John Do grelottait seul, dans la grotte sombre et humide.
Et bien sûr arriva ce qui devait arriver.
Pour exprimer ses émotions, le petit était si sensible, à cause du traumatisme de l’abandon paternel, il commença à dessiner partout sur les murs de la grotte. Sa mère vécut un calvaire. Passant des heures, chaque matin, à nettoyer à l’eau de javel les gribouillis de son fiston. « Même pas ressemblant, pestait-elle entre ses dents. Et aucun sens des proportions ! » Elle n’osait dire à haute voix ce qu’elle pensait en astiquant : John n’était pas tombé loin du pommier de son père.
Mais une nuit changea le destin du petit John, de sa mère et de l’histoire.
À l’heure de l’extinction du feu, un troupeau de rhinocéros déboula sur la tribu dans un bruit de tonnerre. Les hommes et femmes qui s’embrassaient, se souhaitant une bonne nuit, furent piétinés jusqu’au sorcier.
Ce qui m’amène où je voulais, après quelques détours – mais sans détour la vie n’est qu’un voyage vers la fin : sans cet incident malheureux, la civilisation aurait été privée des fresques du petit Johnny. Ce qui, convenons-en, aurait été dommage.
Alors, ne répétons pas les erreurs de nos ancêtres. Apprécions le graffiti à sa juste valeur2. Goûtons la liberté, la vigueur de ses traits. Permettons à ses couleurs d’égayer les rues de nos villes. Et offrons à ses artistes plus d’espaces où s’exprimer. Même s’ils ne détestent pas tous la clandestinité3.
- À cette époque, les enfants recevaient le nom de la note, correspondant au cri qu’ils poussaient en naissant.
- Je ne parle pas des tags – même s’il y en a de beaux – qui tiennent moins de l’art, à mon sens, que du marquage de territoire.
- Des jeunes graffeurs meurent chaque année dans l’exercice de leur art.