Lara – vocation, médecin
« L’essentiel, c’est la santé ! » Lorsqu’on est bien portant et dans la fleur de l’âge on accueille cette phrase banale d’une moue dubitative. Gagner un million au loto, décrocher un boulot ou ce super canon aperçu hier au bistrot nous importerait plus. La santé, nous imaginons que ça ne nous concerne pas, que nous avons encore des années pour y penser. Jusqu’au jour où… patatras.
Un jour, comme le 17 mars ?, où nous avons vécu un patatras collectif.
Entre la poire et le fromage, nous suivions l’œil distrait les mouvements sociaux parmi les médecins, infirmiers, aides-soignants, en blouse blanche ou verte et charlotte. Les hôpitaux souffraient de restrictions de budget, de personnel, de matériel, de dégradation des locaux. Rien de nouveau sous le soleil, soufflait-on l’air blasé en passant au dessert. Car hormis les chômeurs qui, eux, contrairement à la rumeur, aimeraient bien se rendre utiles, la population active trime, et toujours dans l’urgence – les cadences, qu’on disait avant. Soumise aux exigences de rentabilité, évaluée à l’aune de la productivité, sous la menace constante de la précarité, exploitée jusqu’à la corde, elle n’a qu’à dire merci d’avoir la chance de travailler. Ou amen, si vous préférez. Le capitalisme, donc, dans toute sa splendeur. « Et ce serait quoi, l’alternative ? Le socialisme ? Le goulag ? Facile de cracher dans la soupe ! » Non, ça, c’est dégoûtant. Mais critiquer, on peut ?
Aussi ne prêtions-nous pas une attention particulière à ceux qui nous alertaient sur l’état catastrophique de notre système de santé. En France, la grogne, c’est culturel, un peu comme la baguette. Alors, nous passions au salon, pour digérer les infos devant notre émission de téléréalité, notre feuilleton préféré, ou documentaire sur Arte. La santé, à cette époque, il y a encore quelques semaines, ne concernait que les malades.
Le temps des sérénades
Depuis, les choses ont changé. Le Coronavirus aura eu au moins le mérite de révéler crument que « l’essentiel, c’est la santé ». Tous les soirs, sur nos balcons, nous applaudissons les soignants. Nous collons des slogans à leur gloire sur nos murs Facebook. Ils sont devenus nos héros. Mieux que des super-héros – que ferait Superman sans cape, Harry Potter sans baguette, et Fifi Brindacier sans nattes ? –, ils ont accompli des miracles pratiquement sans moyens. Nuit et jour, ils se sont battus contre un virus malin dont ils ne savaient presque rien, et ont sauvé des vies.
Aujourd’hui, nous le savons. Demain, nous l’oublierons. À moins que l’on ne batte le fer tant qu’il est chaud… comme le conseille le dicton. Aussi, n’étant pas forgeron, je le ferai à ma manière. En dressant le portrait d’une de ces anonymes qui consacrent leur vie à la santé. La nôtre.
Lara est chef de clinique dans un CHU de province. Chef de clinique, ça claque comme titre. Comment croire que derrière se cache un emploi précaire ? En effet, réservés à de récents diplômés, ces postes sont attribués pour une durée déterminée, de deux ans seulement, renouvelable deux fois un an.
La médecine, sa vocation
En devenant médecin, Lara a réalisé le rêve qui l’habitait depuis l’enfance. Quant à son choix de pratiquer son art dans un hôpital, c’était pour elle une évidence. Stop ! Stop ! La médecine, un art ? Oui, par définition*. Et encore mille fois plus, quand on la pratique comme Lara dans toute sa dimension humaine. Elle œuvre avec méthode, concentrée sans relâche sur son objectif : soigner. Pris dans son regard intense, le patient ne doute pas que le temps de son examen, rien n’existe pour elle que lui. Elle lui parle, l’interroge, l’écoute. Resserrant maille après maille le filet sur la maladie. Pas question de lui laisser une chance de s’échapper.
Le diagnostic, c’est son métier
En effet, c’est à Lara qu’on envoie ceux dont on peine à cerner la pathologie. Elle mène alors son enquête, à l’instar du docteur House, le Colombo de la médecine, qui a popularisé cette spécialité de médecine interne. Mais à l’inverse de ce fou, cynique bien qu’attachant, Lara cultive le contact, essentiel à la guérison. Rassurer ses malades fait partie de sa mission qui ne s’arrêtera pas à leur sortie de l’hôpital. Car après leur séjour chez elle – « l’hôpital, c’est ma maison » – dans son service, les patients peuvent l’appeler ou lui écrire des mails. Et elle répond toujours.
Et l’avenir ? Le sien et celui de l’hôpital ?
Les deux sont incertains. De plus en plus, d’après Lara, depuis la présidence Macron. Avant, en dernière année de ses quatre ans de clinicat, elle aurait passé le concours de Praticien hospitalier pour être titularisée. Le concours a été supprimé cette année. On ignore s’il sera remplacé et par quoi. « On nous laisse dans le flou. » Quant à l’avenir de l’hôpital, on n’en sait pas beaucoup plus. Mais Lara le constate, entre le manque de moyen et la précarité, on pousse les jeunes vers le privé. « On nous attribue, par exemple, des jours d’absence supplémentaires, a-t-elle récemment découvert, pour faire des remplacements dans des établissements privés. »
Des souhaits ?
Elle voudrait être libérée des contraintes de la paperasse. La codification des actes, c’est du temps volé aux patients. Du temps qui manque forcément puisque la plupart des services travaillent en effectifs réduits. Et du temps libre à consacrer à la famille et aux enfants. Elle, par exemple, rentre rarement avant le coucher de son fils, âgé de quinze mois seulement.
Des regrets ?
Aucun. Elle adore son métier.
* Définition du Littré : Art qui a pour but la conservation de la santé et la guérison de maladies, et repose sur la science des maladies ou pathologies.
Dans d’autres dictionnaires, plus concis : l’art de guérir.