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D’un journalisme citoyen

Réguler la presse, ça urge.

Et voilà, je l’ai dit. Je suis incorrigible. Je m’étais pourtant promis d’y aller doucement, comme avec ce collègue, cet ami ou parent – nous en avons tous un parmi nos connaissances –, qui réclame un traitement spécial. Celui que personne ne critique sans d’abord enfiler des gants. Avec lui, pas question de mettre les pieds dans le plat. On tourne autour du pot en cercles concentriques, s’en rapprochant progressivement, pour parer à l’abordage. On lui rappelle notre affection. Et notre appréciation. Que serait-on sans lui ? On cite alors ses qualités en toute exhaustivité : sa finesse, son sens de l’humour et son originalité……….. À vous de compléter suivant les pointillés. Et c’est seulement après l’avoir ainsi encensé, assuré de notre loyauté, qu’on ose se jeter à l’eau. Parfois, on tente in extremis de se raccrocher à l’âme secourable d’un copain : « On en discutait justement, l’autre jour, avec Isidore. Hein, Isidore, tu t’en souviens ? » Mais la mémoire d’Isidore le lâche souvent fort à propos. Un grand moment de solitude !

Tout ça pour expliquer que la question de la presse et de sa régulation est redoutablement sensible. Que j’y pense depuis des semaines, m’adjurant de ne pas me rater. Que je tiens à affirmer mon admiration totale et inconditionnelle pour le courage et la passion des journalistes engagés dans leur quête de vérité. Que la liberté d’expression, je voudrais écrire son nom sur mes cahiers d’écolières, sur le sable et sur la neige… Il ne me reste qu’à me lancer.

Certains se demanderont quelle mouche soudain m’a piquée et je leur répondrai : la folie médiatique autour du Covid-19.

Début mars, les Français ont été catapultés dans une nouvelle réalité, menacés par une entité invisible, omniprésente et pratiquement inconnue, frappant de façon arbitraire. Un peu comme Dieu. En plus méchant. Ou plus gentil ? Condamné à mariner dans l’angoisse de l’incertitude, le public s’est tourné naturellement vers les médias pour essayer d’en savoir plus. Et ils y ont été gavés ! de nouvelles successives et souvent contradictoires. Soumis à la pression de l’info continue et de la concurrence, les journalistes se sont lancés dans la course aux news, voire aux scoops, en particulier « sur le front », soit parmi les médecins chercheurs, en quête d’un traitement, d’un vaccin.

Les chercheurs cherchent. C’est leur métier. Leurs hypothèses sont des pistes, pas des informations. En leur tendant ses micros, la presse a amplifié le brouhaha de leurs débats, nécessaires à leur travail, mais perturbants pour les profanes. Ballotés, étourdis par le flux de théories, ces derniers se sont jetés dans les bras grands ouverts des conspirationnistes qui déballaient leurs salades sur les réseaux sociaux. Des discours farfelus, mais dangereux à en frémir, y obtenaient l’adhésion massive des internautes.

À la lecture des posts et nombreux commentaires, j’ai brusquement réalisé que le « quatrième pouvoir » était en train de tomber aux mains de ces fous du complot et que seuls les vrais journalistes, dignes de leur profession, pourraient y remédier.

On peut toujours se demander comment ils auraient pu mieux gérer la situation pour ne pas en arriver là. Mais je ne me plais pas en donneuse de leçon. La vraie, la bonne question est plutôt, à mon avis : que doivent-ils faire désormais ?

D’abord, et immédiatement, renvoyer les scientifiques dans leurs laboratoires laver leurs pipettes en famille. Ensuite, œuvrer, et d’urgence, à la reconquête du public, de son respect et sa confiance.

Et comment ? me demandez-vous. Sûrement pas, en tout cas, en cédant au diktat du « touche pas à ma presse », mais en l’asseyant sur des bases citoyennes, responsables. Et là encore, comment ? Étant assez lucide pour ne pas me croire la première à me poser cette question, j’ai mené mon enquête. Oui, j’aime faire durer le suspens.

Je me demandais si une charte régissait les pratiques de cette profession. S’il existait un serment comme ceux que prêtent les juges, les médecins, les coiffeurs. Pourquoi pas les coiffeurs ? Une sorte de loi morale selon laquelle seraient jugés manquements et dérapages.

J’ai découvert, ravie, non pas une charte mais plusieurs. La première rédigée par une quinzaine de journalistes en 1918 à Paris1 et la dernière, adoptée en 2019 à Tunis2, par la Fédération internationale des journalistes. Cependant, une charte n’est rien qu’une déclaration d’intention sans instance pour veiller à son application.

(Ici, au hasard, une clause largement mise à mal par l’ensemble de la profession : « La notion d’urgence dans la diffusion d’une information ou d’exclusivité ne doit pas l’emporter sur le sérieux de l’enquête et la vérification des sources ».)

Mais à ce sujet aussi, les journalistes ont réfléchi. Ou plus exactement le Syndicat national des journalistes français qui, pendant des années, a défendu l’idée de créer une telle instance avant d’être enfin entendu, en 2018, par le gouvernement Macron en la personne de sa ministre de la Culture de l’époque, Françoise Nyssen. C’est ainsi qu’est né à Paris, le 2 décembre 2019 – eh oui, c’est tout récent – le Conseil de déontologie journalistique et de médiation.

Et maintenant, reste à voir

  1. Charte d’éthique professionnelle des journalistes, remaniée en 1938 et 2011
  2. Charte d’éthique mondiale des journalistes.