Une fermière, dans sa jeunesse,
Avait aimé un laboureur
Qui n’avait gardé en son cœur
Aucune place pour la tendresse.
Le seul rêve, la seule ambition,
De cet homme étant s’enrichir,
Il avait pour y parvenir
Étouffé sa moindre émotion.
L’air docte, il répétait souvent,
Se croyant fort intelligent,
Que les fruits du travail toujours
Valaient la peine qu’on se donnait
Alors que, bah !, ceux de l’amour
Le plus souvent nous décevaient
Il épousa une jeune pécore
Mais surtout, avec elle, ses champs,
Pour ensuite, des années durant,
Labourant donc de l’une le corps,
Des autres, pétrissant la terre,
Ne rêver que de sa fermière.
Ses efforts ne restèrent pas vains.
Des entrailles de son héritière
Naquirent trois fils qu’il n’aima guère.
D’ailleurs, ils le lui rendirent bien.
Ses domaines aussi fructifièrent
Mais il ne fut jamais comblé.
Il devint aussi riche qu’amer
Son cœur s’étant ratatiné.
Un témoin rapporta
La terrible morale
Qu’en mourant il souffla
Avec son dernier râle :
Un ogre est le travail
Qui notre vie dévore
Et non pas un trésor.
Il n’y a qu’amour qui vaille.
Quelle triste fin pour ce pauvre homme !
Encore une morale à la gomme !
Vous écriez-vous, mécontent.
Puis poursuivez, argumentant
Que l’auteur, toujours, en fiction,
Est le seul et unique patron.
Aussi pourquoi ne pas choisir
Une note plus gaie pour finir ?
Mais patience, voyons, cher lecteur !
Je dois encore vous révéler
Ce qui, de la fermière, advint :
En dépit de son grand chagrin,
Refusant de désespérer
Elle choisit de croire au bonheur.
Ainsi, croisa-t-elle en chemin
Un autre cœur, semblable au sien.
Il lui déclara son amour
Sans crainte, ou réserve, ni détour.
Elle se donna éperdument
À cette âme sœur, son amant.
Ensemble, quelle bénédiction !,
Ils eurent trois filles et un garçon.
Après une vie épanouie
Pleine de hauts, et de bas aussi,
L’heure vint pour elle de s’en aller
Par une belle journée d’été.
Avant de s’offrir à la mort
À corps perdu, comme à la vie,
Elle déclara à ses enfants,
Gendres, belle-fille, petits-enfants,
Autour de son lit réunis :
Il n’est pas de plus beau trésor
Que la chaleur de notre cœur.
Elle seule est source de bonheur.
Suivez l’amour à l’aventure
Quitte à souffrir quelques blessures.
Mieux vaut se brûler à son feu
Que de s’éteindre peu à peu.