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La Fourmi et la Cigale

Maintenant ? Danser ?  Vraiment ?

Danser ? Vraiment ? Maintenant ?

La cigale était restée,

Quelques instants, médusée

Doutant d’avoir bien compris

Les paroles de la fourmi

Avant de se lancer enfin

Malgré sa terrible faim

Dans une danse effrénée

Laissant sa voisine bouche bée.

Lorsque, bientôt, la radine

Se remit de sa surprise,

D’un rire méchant, elle hennit

Se moquant – mais quelle mesquine ! –

De l’insondable sottise

De notre chanteuse d’amie

Déjà au bout du rouleau

Pour l’avoir prise au mot.

Ce conflit de voisinage

Réclamait un arbitrage.

Pourtant, des générations,

Cette scène se répéta,

Sans manquer, tous les automnes,

Sous l’œil de plus en plus morne

Du destin jamais à court

D’ordinaire de mauvais tours

Avant qu’il ne décida

Du juste moyen d’action.

Ainsi, cette année encore,

Fidèle à la tradition,

La cigale de sa voix d’or

Entonna la même chanson

Que ses ancêtres avant elle

Et la fourmi lui servit

La même phrase sans appel

Que tous ses ancêtres aussi :

Son odieux et méprisant

« Eh bien dansez maintenant ! »

Sauf que, alors, sans crier gare

Une vague, surgie de nulle part,

Ensemble, les deux emporta

Les arrachant dans son élan

Aussi fougueux que conquérant

A la triste fatalité

D’une éternelle hostilité.

Sur une même branche réfugiées,

Par un même courant emportées,

Sous les mêmes cieux noirs, courroucés,

Les commères voyaient défiler

Leur existence devant leurs yeux

S’apprêtant à lui dire adieu.

L’une bruyamment se lamentait

Sur l’injustice de son malheur

La perte des fruits de son labeur.

« Moi qui n’ai fait que travailler

Me voilà bien récompensée ! »

Ne cessait-elle de répéter.

Tandis que l’autre, de son côté

De l’écouter se contentait.

Elle avait savouré les hauts

Et aussi accepté les maux

Que la vie généreusement

Offre à chacun de ses enfants.

Elle n’éprouvait aucun regret

Même si le pire lui arrivait.

Soudain, elle se redressa

Et, tapant des mains, des pieds,

Un joyeux air entonna

Sous le regard embué

De notre pauvre fourmi

Qui avait enfin compris.

Son regard brillait de joie

Quand de sa voix éraillée

Parce que si peu exercée

Fiévreusement, elle cria :

« Moi aussi, je veux chanter.

Oui ! Maintenant ! Et danser ! »

Profitons bien de notre vie

Avant qu’on ne nous la reprît.