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L’année de toutes les peurs

Pas de meilleur terreau pour la peur que l’incertitude, petite bête noire aux mille questions.

En temps normal, elle nous torture à la sortie d’un entretien, d’un examen médical, d’une audience de justice ou d’un rendez-vous amoureux. Elle nous laisse ramer dans le vague avec les moyens du bord.

Au quotidien, nous apprenons à apaiser ses affres. Nous interprétons les signes, seuls ou avec des amis, interrogeons Internet, consultons médecins ou tarots  – Aimera, aimera pas ? Réussira ? Guérira ? –, chacun selon ses croyances. Qu’importe que les réponses soient fausses, l’important est d’en avoir une. Pour chasser de nos cœurs, et nos esprits, la bête noire.

Mais c’est en des circonstances, comme celles que nous traversons, où plus personne ne prête foi à aucun pronostic, qu’elle est la plus dangereuse. Démunis face aux questions insolubles, insurmontables, nous sombrons dans la peur. Qui étouffe le moindre espoir, éteint la moindre joie. Qui petit à petit nous éloigne de la vie…

La peur est la première ennemie du peureux. Comme l’illustre la triste histoire d’une adorable perdrix, originaire d’Europe de l’Est, que je me vais narrer ici :

La Perdrix et la Peur

Plus on a peur, plus on a peur,

Ce n’est pas un moindre malheur.

Une jolie perdrix

Habitait une taupinière,

Sa dame de compagnie,

Étant la peur, sa conseillère.

Elle s’espérait bien à l’abri

Dans ce triste et sombre logis.

À peine la sentait-elle un tant soit peu sereine,

Que sa traîtresse d’amie reprenait sa rengaine :

N’entends-tu pas le feu dans la lumière qui luit,

Ne sens-tu pas la ruine dans ce qui est bâti ?

Où que tu iras picorer, tu ne pourras les éviter :

Il n’existe en ce monde que d’imminents dangers.

La pauvre poule épouvantée,

Tremblant du bout du bec à la pointe des pattes,

S’abîmait plus profond dans son trou, à la hâte,

Croyant alors se protéger.

Ainsi, jour après nuit, l’obscurité cernait

Notre craintive oiselle, encore, toujours plus près.

Elle ne distinguait plus la roche du ruisseau

Ni une trouble menace de l’ombre d’un coteau.

Elle se disait qu’au moins si elle n’y voyait rien,

Ses ennemis non plus n’y verraient pas un brin.

Mais au fond de son trou, elle trouva son destin.

“Oï Mamele ! Oï Gewalt*”, s’écria-t-elle le matin,

Où les ténèbres l’envahirent…

“Que peut-il advenir de pire ?”

Car notre malheureuse amie

Avait très peur du noir aussi !

* Interjection en Yiddish, équivalent de Oh, ma petite maman ! Oh quelle horreur !