De l’incongruité de la mise en abyme de la réalité
On aurait dû, au plus tard avec l’installation de Trump à la Maison-Blanche, comprendre que la vie n’est pas un vulgaire programme de télé-réalité. À ne plus la considérer qu’à travers des écrans et la traiter comme un spectacle, la « vraie réalité », la seule, l’unique, l’irréversible, nous rattrape et nous frappe de conséquences souvent cruelles.
Ainsi, les Américains victimes d’armes médiatiques, magistralement maniées, ont élu à leur tête un mégalomane inculte, requin devant l’éternel, malgré son prénom bébête de canard mal léché. Devenu populaire grâce à un show télévisé, ce magnat de l’immobilier, désormais Président, a pris des aises de dictateur et use de sa position pour bafouer les valeurs sur lesquelles s’est bâtie la puissance américaine.
Et nous, nous croyant loin, hors de portée du danger, osons jouer avec le même feu. Pourtant, l’océan Atlantique, dans son immensité, ne l’empêchera pas de s’étendre jusqu’à nous et de venir nous consumer. D’ailleurs, les concepts pernicieux lancés par Donald et sa clique sur le marché de la pensée ont déjà traversé les mers. Pour preuve, l’adoption massive de l’expression « fake news ». Combien de temps avant que celui, pire encore, de « faits alternatifs (1) » ne fasse des petits chez nous.
Il nous faut donc aujourd’hui, pour protéger nos libertés et notre démocratie de ces feux populistes, tirer les enseignements de ces observations. Il le faut. Et d’urgence.
Pourquoi cette panique soudaine ? Pourquoi cette semaine ? Quelle mouche m’a donc piquée ?
Notre-Dame m’a piquée. Notre-Dame a brûlé.
Sur des charbons ardents, et le nez sur l’horloge, la France se préparait à écouter l’allocution d’Emmanuel Macron. Il présenterait au peuple l’aboutissement de mois de travail et concertation. Pour promouvoir l’événement, l’Élysée s’était fendu d’une bande annonce catchy, montée comme un clip musical, que la star en personne – pardon, le Président – avait diffusé sur Twitter.
Les télés, radios, journaux, opposants et partisans, y allaient allégrement de leurs élucubrations. On consacrait des heures d’antenne, des kilomètres de papier à de « savantes » supputations. L’heure approchait, approchait. La tension montait et montait…
Et Notre-Dame a brûlé. Notre-Dame. Notre cathédrale.
Pourtant, au lieu de suspendre les programmes pour se taire et se recueillir. Pour pleurer en silence. Et en toute pudeur. On a juste changé de sujet. Et le show a continué.
Personnalités en tout genre sont apparues sur les écrans, rivalisant de formules pour exprimer leur peine, et exhibant leur affliction. Ainsi en quelques minutes, le drame de l’incendie d’une des plus grandes merveilles du monde est devenu un spectacle où chacun devait figurer. Et alors que les pompiers risquaient leur vie pour sauver la cathédrale de Paris des flammes impitoyables – elles sont ainsi, les flammes, elles ne font pas de quartier – tout ce que la planète comptait de célébrités faisait son cinéma.
Notre-Dame a brûlé. Certains voient là un signe. J’y vois une occasion. D’oser lever le nez des écrans de fumée et cesser de nous mettre en scène, de supputer, de commenter. Recentrons-nous sur l’essentiel : agir, bâtir, reconstruire et vivre tout simplement.
(1) Trouvaille de Kellyanne Conway, plus proche conseillère du président américain.