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La longévité, à quel prix ?

À ceux, un brin sensibles, mais comme je les comprends !, qui déjà s’alarmeraient, à la lecture du titre, de l’indécence de mon propos, je tiens à assurer que je ne m’inquiète pas du gouffre de la Sécu, du financement des retraites ni d’une quelconque question de coût. Ce qui me préoccupe ici, c’est le prix, en souffrances, de la longévité.

La plupart d’entre nous, plus ou moins consciemment, rêvons d’éternité. Il ne s’agit sans doute pas d’un souhait rationnel : l’éternité, c’est long, en termes d’après-midi pluvieuses à occuper ! Ce que nous voulons réellement, c’est ne jamais mourir.

Aussi n’avons-nous de cesse de prolonger la vie jusqu’à une date ultérieure, et si possible encore plus tard. Pour nous, qui avons réussi à faire fondre les neiges éternelles !, à chambouler les saisons, épuiser nos sols les plus riches, voler plus haut et plus vite que le plus rapide des oiseaux* et envoyer des satellites graviter autour de la terre, nous plaçant ainsi, enfin !, au centre de l’univers, du nôtre tout au moins… Pour nous, les rois du monde, vaincre la mort,  bon dieu !, ne devrait pas être sorcier.

Sorcier peut-être pas, mais cruel pour les cobayes. Pour nous, quand le jour viendra.

En effet, lorsque nous songeons à la vie éternelle, nous ne nous imaginons pas dans un corps perclus de douleur, notre âme à la dérive, ne pouvant nous autoriser tel plat, parce que trop gras, ce petit verre en plus qui nous mettrait en joie, ce plongeon dans la mer. Nous n’imaginons pas des siècles sans tendresse, sans baisers ni caresses, à ne tenir qu’à un fil, rafistolés, pièce par pièce, sacrifiant sur l’autel de la longévité la saveur de la vie.

Pas franchement excitant ? C’est ce que subissent nos anciens. Les chanceux s’éteignent chez eux. Les autres, tant d’autres, meurent en Ehpad – pour ne pas dire « asile de vieux » qui au moins avait le mérite de ne pas avoir peur des mots.

Et ne me lancez pas sur ces établissements !

Bon tant pis, c’est trop tard.

Loin de moi de critiquer le personnel d’encadrement, constitué, hormis quelques désaxés, de professionnels dévoués. Tout aussi loin de moi de condamner les proches de céder aux contraintes de la réalité et d’envoyer leurs parents finir leur route dans ces endroits.

Certains faits, cependant, valent d’être soulignés.

D’abord, ne nous leurrons pas, ces lieux « d’hébergements » ne sont pas le nouveau « chez soi » des pensionnaires résidents (assignés à résidence – voire prisonniers en ces temps de Coronavirus). Il s’agit d’entreprises à but très lucratif – le surnom « or gris » en dit long sur les profits engrangés par ce secteur d’activité – et non d’œuvres de bienfaisance. Et c’est pourquoi dans leur gestion, la logistique toujours y primera sur l’humain.

Pourtant, le plus cruel réside dans le concept lui-même d’enfermer les vieux entre eux, les confrontant en permanence, à leur image reflétée, impitoyablement, par leur voisin de chambrée1, de les condamner à jamais à des repas de cantine – mauvais souvenir ? Justement ! – et à des promenades solitaires dans des couloirs interminables, ponctués de portes fermées sur des cellules sans âme.

« La vieillesse est un naufrage », me dit souvent mon père, citant Chateaubriand2, mais n’est-il pas meilleur moyen, plus généreux, plus humain, de secourir les naufragés ?

Pourquoi ne pas essayer d’y réfléchir ensemble ? Pour nos vieux. Et pour nous. L’avenir, c’est déjà demain.

*Le faucon pèlerin, j’ai vérifié pour vous : il plane à 90km/h, plonge à 180km/h et peut battre tous les records, avec 350km/h en piqué sur sa proie (quand elle est très appétissante ou qu’il est affamé ! – du moins je l’imagine).

1- Dans Ruy Blas, Victor Hugo affirmait par la bouche de Casilda, espiègle compagne de la reine, que l’on « vieillit plus vite à voir toujours des vieux ». Acte II scène 1.

2- À moins que ce ne soit De Gaulle, les avis sont partagés.